« Dans le monde politique, il n’y a pas de différence entre le monde politique et le monde réel, dans le monde réel si… »
Monsieur le président, au nom de tous ceux qui n’ont pas droit à la parole, j’ai le privilège de pouvoir m’adresser à vous à travers cette tribune.
C’est une lettre que j’aurais aimé vous remettre main à main et vous observer la lire.
Je suis sûr que vous mesurez, comme chacun d’entre nous, les temps durs auxquels nous faisons face, mais je ne voudrais pas vous entretenir de cela aujourd’hui.
Mon propos sera simple : je veux vous inviter à renoncer à une éventuelle troisième candidature pour un troisième mandat.
Nous savons que nos lois peuvent toujours offrir dans leur lettre, des angles d’interprétation sémantique, dans lesquels s’engouffrent les hommes de peu de vertu.
Nous savons aussi que ces lois peuvent être portées par leur esprit et que, dans ce cas on loue la volonté et de la conscience de ceux qui les respectent.
Vous avez le Sénégal au coeur, comme vous l’écrivez, monsieur le président, vous devez alors y faire ce que font les grands hommes. Il vous incombe de perpétuer la grandeur de ces hommes illustres qui y ont vécu.
N’oubliez pas que la victoire de 2012, celle qui vous met le pied à l’étrier, était celle du peuple sénégalais tout entier, contre la troisième candidature du président Wade.
Le peuple à l’unisson avait dit qu’il ne voulait plus d’un troisième mandat au Sénégal.
Je me rappelle nos discussions de coin de feu où vous confiez que vous vouliez imiter les grandes nations, réduire la durée et le nombre de mandats. Quelle ferveur lors de ces conversations ! Quelle grandeur vous habitait en ce moment là !
Qu’est-il advenu de cette ferveur ? Qu’est-il advenu de cette grandeur ? Je me pose cette question quand j’entends de votre bouche un cinglant « ni oui, ni non ».
Ne pas se présenter à un troisième mandat est un choix qui s’impose monsieur le président. Le Sénégal sera encore plus grand parce que grand, vous aurez fait ce choix.
Le Sénégal est grand, étant l’un des rares pays africains à ne pas connaitre de coup d’État.
Le Sénégal est grand, parce que les transitions s’y sont faites dans les urnes et non par les armes.
Nous voudrions que ceux qui viendront après nous, puissent dire que nous avons perpétué la grandeur de nos grands hommes, je pense à El hadj Omar, Lat Dior, Ahmadou Bamba, El hadj Malick Sy, Cheikh Anta et bien d’autres encore. Nos valeurs d’antan définiront encore longtemps notre avenir parce que nous les aurons transmises telles quelles à nos enfants. *
Rappelez-vous, le frisson de fierté que vous fîtes courir au pays, quand majestueux, vous déclarâtes urbi et orbi, réduire votre mandat de 7 ans à 5 ans. De ce jour, nous marchâmes la tête haute, le torse en avant.
Nous portâmes tous, cette fierté d’être un Sénégalais dans le monde. Cet état de félicité ne dura malheureusement pas longtemps. Nous restâmes en rade devant la porte de l’Histoire pourtant faite pour nous, comme retenus par cette sentinelle devant la porte de la loi, chère à Kafka.*
Vous avez préféré un proverbe latin (verba volant, scripta manent) à un proverbe pulaar (Haala ko ndyam, so rufi boftotaako)*
Nous fumes surpris de voir votre promesse non tenue.
Vous étiez, opposant, en première ligne pour dire qu’Abdoulaye Wade ne pouvait faire un troisième mandat.
Président, vous avez fait réviser la Constitution en y apposant que « nul ne peut faire plus de deux mandats consécutifs ».
Que s’est-il passé depuis lors pour qu’une prise de position soutenue en un moment donné, ne le soit plus quelques années plus tard ?
La réponse serait-elle : rien n’a changé monsieur le président, sauf vous ?*
Allons-nous répéter cette erreur ? Personne d’entre nous n’ose le penser.
De toutes les bouches que la faim, les inondations et les difficultés de la vie font s’ouvrir, on n’entend bruire qu’un seul refrain : non au troisième mandat
Monsieur le président, écoutez-les !
Un troisième mandat ? Pourquoi faire ? 12 ans de pouvoir n’est-ce pas assez pour imprimer les politiques que l’on veut ?
Pourquoi envisager d’emprunter ces chemins escarpés, suivis par ces dinosaures qui ont conduit leur pays vers le chaos ?
Pavez juste le chemin, le reste suivra.
Votre avenir est devant vous. Les possibilités multiples s‘offrent à vous. Il vous suffira de traverser la rue, comme dirait l‘autre. Les Nations unies, la Francophonie seront des ilots d’abondance et de notoriété pour vous.
Votre aura dépassera alors les frontières du Sénégal et en 2029 vous n’aurez que 68 ans. Vous serez peut-être même surpris : le peuple vous regrettera et vous réclamera ! Ce sera votre moment !
Souvenez-vous : vous avez gagné des batailles. Vous avez lutté contre des concurrents redoutables : Tanor (paix à son âme), Niasse, Wade, Idy et bien d’autres. Vous les avez tous vaincus. Il vous faut maintenant livrer la bataille la plus rude, celle contre vous même, celle contre votre propre camp. Celle-là est la plus difficile mais elle est aussi celle qui apportera la récompense suprême. Une victoire sur elle vous réconciliera avec vous même. Elle effacera vos errances comme la Mecque absout les péchés. Ce sera la lueur du commencement pour un Sénégal meilleur demain.
Qu’importent les propos des pythonisses qui se bousculent à votre cour et vous prédisent une victoire. Elle ne sera pas belle et des cadavres joncheront le sol.
N’écoutez pas ces sycophantes, point avares en flatteries qui ne cherchent qu’à se repaitre de la bête, et qui vous abandonneront à la moindre escarmouche.
Les goules vous suivront pas à pas pour engloutir ceux qui ne manqueront de tomber sous les balles de vos soldats, mais pas le peuple du Sénégal, car chacun d’entre eux, paiera son écot pour que le Sénégal reste grand.
Vous êtes à nouveau devant la porte de l’Histoire, monsieur le président. Cette fois, dites à la sentinelle qu’elle est faite pour vous.* Elle vous laissera rentrer.
*Communication politique
Notes :
– Un aphorisme à la Yogi Berra : il s’agit du « monde universitaire » a la place du monde politique dans l’aphorisme original. Berra : manager et coach de MLB
– verba volant, scripta manent : Les paroles s’envolent, les écrits restent.
Haala ko ndyam, so rufi boftotaako : La parole est comparable à l’eau, une fois versée, impossible de la ramasser.
– Discours de Elisabeth II, 5 Avril 2020
– Jacques Laurent : Écrivain et académicien français : À propos de Debré, ancien PM de De Gaulle
– Franz. Kafka : Le Procès : Parabole de la Loi, chapitre IX
#Lettre #Président
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