Il y a huit ans, Alaji a été condamné à de la prison ferme pour trafic de migrants et pour homicide volontaire. Le canot sur lequel il avait pris place a sombré en mer entraînant la mort de plusieurs exilés. Le Sénégalais, analphabète, a purgé sa peine, mais continue de clamer son innocence. Avec l'aide de l'association italienne Baobab Experience, il tente aujourd'hui d'obtenir réparation.
Alaji a 32 ans. Arrivé en Italie il y a une dizaine d’années, il a traversé la mer Méditerranée dans l’espoir de trouver du travail en Europe pour subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille restée au Sénégal. Contrairement à nombre de ses compatriotes, il ne parle pas le français et s’exprime uniquement en mandingue.
À son arrivée en Italie, Alaji ne savait ni lire ni écrire. C’est le témoignage d'un autre migrant qui l'a conduit en prison. Le bateau sur lequel il voyageait s'est brisé pendant la traversée, explique Alice Basiglini de l'organisation italienne d'aide aux migrants Baobab Experience. Plusieurs personnes sont mortes suite au naufrage.
Lors de son procès à Tarente en 2017, dans les Pouilles au sud de l'Italie, Alaji et un autre migrant gambien sont condamnés à sept ans de prison pour trafic de migrants et homicide. Désormais libre, Alaji continue à clamer son innocence.
"Le seul témoin qui accuse Alaji d'avoir navigué le bateau se trouvait en fait sur une autre embarcation un peu plus loin... Il faisait également nuit pendant la traversée, si bien qu’au-delà de la distance qui séparait ces deux bateaux, il aurait été impossible de voir qui tenait réellement la barre", précise Alice Basiglini.
Baobab Experience mène de nombreuses initiatives de soutien aux migrants en Italie | Photo : Baobab Experience
Le phénomène des "faux passeurs", c'est-à-dire de personnes condamnées pour trafic alors qu'elles n'ont aucun lien avec les bandes criminelles qui organisent les traversées est bien connu en Italie.
Dans la péninsule, la traque des trafiquants est confiée à la division anti-mafia du système judiciaire. "Dans la pratique, cela signifie qu'ils appliquent les méthodes de lutte contre la mafia au problème de l'immigration, alors que ce n'est pas du tout la même chose", rappelle Alice Basiglini.
Cette division anti-mafia cherche à démanteler les organisations criminelles en démarrant en bas de l’échelle pour espérer atteindre le haut de la pyramide et les donneurs d’ordre. Ils estiment donc que le capitaine d’un bateau sera en mesure de conduire les enquêteurs vers ceux qui organisent les traversées clandestines.
Un flyer distribué par Baobab Experience veut attirer l’attention sur le cas d’Alaji | Source : Capture d’écran d’un communiqué de presse de Baobab Experience
"Mais en fait, ceux qui tiennent la barre des bateaux n'ont rien à voir, ou si peu, avec les trafiquants", assure Alice Basiglini.
Une erreur judiciaire ?
Les personnes qui conduisent les canots sont souvent celles qui ont le moins de moyens financiers et qui ont accepté d'assumer cette responsabilité contre la gratuité de la traversée - ou à moindre coût.
Dans d'autres cas, des migrants se retrouvent à la place du capitaine parce qu'ils ont déjà une certaine expérience de la mer. Les personnes originaires du Sénégal ou de la Gambie, deux États côtiers, sont d’ailleurs surreprésentés dans ce type de poursuites judiciaires en Italie.
Alaji et le ressortissant gambien étaient assis près du stock de carburant, mais tous deux nient avoir pris le contrôle du bateau.
L’ONG Baobab Experience dénonce des défaillances dans le système judiciaire | Photo : Winfried Rothermel / picture allianceSelon Alice Basiglini, l'inexpérience et l'analphabétisme d'Alaji ont pu jouer en sa défaveur. Il n'a pas été en mesure de comprendre ce qu'il s'est dit à son procès - sans traducteur en mandingue.
"Il a eu, et a encore du mal à assimiler ce qui lui est arrivé", poursuit-t-elle.
La condamnation a donc été prononcée sur la base d’un seul témoignage : un témoin qui a perdu deux de ses sœurs, dont l'une est décédée sur le bateau où se trouvait Alaji.
Tentatives de suicide
Après avoir purgé sa peine, le jeune Sénégalais est arrivé à Rome "très confus, bouleversé et très vulnérable", se souvient Alice Basiglini. "En prison, Alaji a tenté à deux reprises de mettre fin à ses jours. Il a une fois voulu se pendre, mais a été sauvé par son compagnon de cellule". Et d'ajouter : "Les prisons italiennes ne sont pas vraiment des lieux de réintégration, mais plutôt des lieux de punition".
Baobab Experience a assisté Alaji dans sa démarche pour obtenir un permis de travail, ce qui lui a permis de trouver un poste de jardinier. Le Sénégalais dispose actuellement d’un contrat de travail, peut subvenir à ses besoins et vivre de manière indépendante.
Le Sénégalais Abdou Faye a également été condamné pour trafic de migrants | Photo : Emma Wallis
Demande d'amnistie
Depuis la sortie de prison, Alaji tente d'obtenir une amnistie. "Ce serait une première en Italie si nous y parvenons", affirme Alice Basiglini. Son avocat engagé par l’ONG cherche notamment à connaître les noms de personnes arrivées en Italie le même jour qu’Alaji, afin de trouver de nouveaux témoignages.
Pour l’heure, la démarche reste infructueuse. "Les personnes qui auraient pu fournir des témoignages semblent s’être évaporés dans la nature", regrette Baobab Experience.
L’organisation ne compte toutefois pas s’avouer vaincue, et ambitionne de porter l'affaire au niveau européen pour attirer l’attention sur ce type de condamnations.
"L’État italien a volé sept ans à Alaji. Il ne retrouvera jamais ce temps perdu", rappelle Alice Basiglini.
Le jeune homme a perdu sa mère. Elle est morte alors qu’il était encore en détention. "Cela a eu, et continue d'avoir, un effet énorme sur lui, conclut Alice Basiglini. "Il était venu en Europe pour elle, pour la soutenir."
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